La femme dans la société libanaise
À partir de la seconde moitié du XXème siècle, nous avons vu apparaître dans nos sociétés occidentales une forme d’émancipation de la femme, lui accordant une place nouvelle et un rôle plus important. Toutefois, dans certaines sociétés du Moyen-Orient, comme au Liban, la place et le rôle de la femme sont perçus différemment amenant au fait que celles-ci soient confrontées à des tendances qui s’opposent souvent comme l’émancipation et le respect des traditions.
Les femmes libanaises jouissent davantage de droits et libertés que d’autres femmes dans d’autres pays de la Région Moyen-Orientale. En effet, elles peuvent passer le permis de conduire, accéder à l’éducation – au sens instructif du terme – ou encore enseigner, occuper des postes clé dans l’administration ou de grosses enseignes… Elles peuvent par conséquent jouir de certaines libertés garanties par la Constitution Libanaise. Aujourd’hui, selon le Programme des Nations-Unies pour le développement, les femmes représentent la moitié de la population universitaire libanaise, marquant ainsi une forme d’égalité entre les genres du moins dans l’accès à l’enseignement supérieur.
Par ailleurs, des progrès en termes d’éducation ont été faits depuis le début de notre siècle, après la ratification de la Convention sur l’élimination de toutes les discriminations à l’égard des femmes qui fut signée et ratifiée le 16 avril 1997. Cela vient affirmer la foi dans la dignité et la valeur de la personne humaine et dans le renforcement de l’égalité des droits de l’Homme au Liban. Cette égalité de droit est affirmée par ailleurs dans la Constitution Libanaise. Si cette Convention autant que la Constitution sont censés garantir l’égalité homme-femme de tous points de vue, le Liban a tout de même écarté certains aspects comme celui du statut personnel.
Dans toutes les communautés reconnues au Liban – on en compte 18- c’est au père que revient la tutelle de sa famille pouvant ainsi limiter les possibilités d’action de certaines femmes comme par exemple acheter un bien immobilier, signer un chèque bancaire ou encore ouvrir un compte. Ce qu’il faut avoir immédiatement en tête est le fait qu’il n’y ait toutefois pas une femme libanaise unique en son genre mais bien des femmes se distinguant les unes des autres selon plusieurs critères tels que l’origine sociale, la confession religieuse ou encore l’appartenance à une communauté ; ce qui peut d’ailleurs avoir un impact sur la vie intime de celles-ci.
En effet, le Liban est un pays multiconfessionnel et pour exemple, le fait d’épouser un homme d’une autre confession peut être synonyme de haute trahison envers sa famille ou sa communauté. Selon le témoignage que j’ai pu recueillir auprès d’une jeune femme libanaise vivant à Paris et préférant rester anonyme : « dans certaines communautés religieuses, il est impensable de se mettre en couple avec une personne d’une autre confession. Certaines communautés sont plus strictes que d’autres à ce sujet. […] C’est en quelque sorte « une honte pour la famille. Comment expliquer ça aux voisins? Que vont-ils dire de nous? ». Notre témoin a une amie « qui était persuadée d’avoir trouvé l’homme de sa vie », mais ils ont dû se séparer « parce que la famille de son copain n’approuvait pas leur relation et n’aurait jamais approuvé un mariage entre les deux ».
Il existe d’autres inégalités entre les femmes en fonction de leur appartenance religieuse : une femme catholique ne peut divorcer de son mari – sauf en cas de faute grave de ce dernier – tandis qu’une femme chiite en aura plus facilement l’occasion D’ailleurs, les femmes qui se marient à des ressortissants étrangers – car le Liban est un pays marqué par l’émigration – ne pourront pas donner leur nationalité à leurs enfants et ces enfants n’auront pas forcément accès à l’éducation – au sens instructif du terme – car il y a un quota d’enfants étrangers accédant à l’enseignement public et de plus, les frais de scolarité pourront être plus élevés.
En clair, ce morcellement religieux de la société peut à certains moments contraindre les femmes dans leurs relations sentimentales et donc privées, lorsqu’elles sont confrontées à un choix entre ce à quoi elles aspirent pour elles-mêmes et la prise en considération de leurs origines sociales, communautaires et religieuses.
Notre témoin restée anonyme nous dit toutefois que toute sa vie elle a « été entourée de femmes fortes, qui défiaient les règles de la société ». Pour exemple, sa « tante s’est séparée de son mari après la naissance de sa fille lorsque ce dernier était tombé dans la drogue. A ce moment-là, elle a décidé d’élever seule sa fille et d’affronter le jugement des autres parce que ça lui semblait être moins important que la sécurité de son enfant ».
En politique, les femmes représentent 21,3% de l’ensemble des parlementaires plaçant de ce point de vue le Liban au 133ème rang mondial sur 136 pays, selon le rapport mondial sur l’écart entre les genres publié par la Forum Economique Mondial en 2016. Par ailleurs, les femmes représentent aujourd’hui 21,7% de la population active. Selon Estelle Riachi – jeune femme diplômée d’AUB en Marketing et affaires commerciales – « bien qu’il aime se considérer comme le pays arabe le plus libéré, le Liban doit admettre qu’il reste sexiste. Il faut bien noter que la discussion sur l’autonomisation des femmes et l’inégalité des sexes réside dans un contexte plus large que la socialisation. En tant que femme libanaise qui habite au Liban, je vis cette inégalité». Toutefois, selon Nay Karam – diplômée d’AUB en santé environnementale – « il y a aussi une différence entre les générations. Beaucoup de jeunes femmes aujourd’hui sont davantage motivées à faire des changements et d’agir avec plus de liberté ».
Cette vision qui peut paraitre ethnocentrique et sexiste chez certains est perçue par d’autres comme étant un moyen de ne pas perturber l’équilibre religieux sur lequel repose le système politique mais aussi la société. En effet, puisqu’il s’agit d’un pays multiconfessionnel, la vision unitaire du pays comme nous pouvons l’avoir en France est différent au Liban. Le sentiment d’appartenance est d’avantage lié à la communauté qu’à la Nation. Nous pouvons même nous poser la question de savoir si le fait de protéger la communauté n’est pas un moyen de protéger la Nation ? En tous cas ce n’est pas de notre ressort d’apporter des éléments de réponse à cette question.
Marwan Rachidi